PARACHAT VAYERA
(d’après le « Chem
MiChmouel » de Rabbi Chmouel Bornstein)
Après
que D-ieu a averti Avraham de son dessein de détruire les villes de Sodome et
Gomorrhe en raison de leur iniquité, le Patriarche se livre à un véritable
plaidoyer afin de sauver ces villes (Gen. XVIII, v.20 à 33). L’histoire est
connue : devant l’impossibilité de trouver dix Justes dans les villes
pécheresses, deux anges sont envoyés en « mission » afin de les
détruire, tout en épargnant Loth, neveu d’Avraham (par le seul mérite, certes,
de ce dernier). Après avoir été miraculeusement sauvé de la population en furie
(Gen XIX, v. 10 et 11), Loth s’adresse à ses gendres en ces termes :
«‘‘Levez-vous ! Sortez
de cet endroit ! Car Hachem détruit la ville’’ ; mais il fut considéré
comme un plaisantin aux yeux de ses gendres. » (Gen.
XIX, v. 14)
Attitude
étonnante, dans la mesure où les gendres venaient précisément d’assister au
sauvetage miraculeux de Loth.
Le
Midrach Rabba envisage l’attitude des gendres comme étant motivée par
l’imposante puissance économique de Sodome, puissance que l’on peut
difficilement, pensent-ils, imaginer s’effondrer d’un seul souffle. Voici les
paroles que le Midrach leur prête :
«Insensé ! La ville est
remplie de joie et d’allégresse, les habitants vivent heureux et tu prétends
qu’elle va être détruite ! » (Rabba C. 50).
Mais
le Kli Yakar nous rapporte une autre forme d’incrédulité dans son
commentaire sur le verset 14 :
« Tu remarqueras que le
Nom divin utilisé dans le verset est le Tétragramme [le nom imprononçable de
quatre lettres, ndlr.] qui désigne D-ieu lorsqu’il manifeste son rah’amim (sa miséricorde). C’est la raison pour laquelle les gendres se
moquèrent de Loth : ils ne pouvaient concevoir que D-ieu, agissant avec
miséricorde, puisse détruire la ville. Et pourtant c’est ce qui se passa, car
les actes des méchants peuvent changer l’attribut Divin de rah’amim en din (stricte justice). »
Pour
comprendre cette explication, citons la parabole suivante :
« Un
roi miséricordieux avait un fils qu’il chérissait et à qui il voulait prodiguer
tout ce dont il avait besoin. Il exécuta son projet à travers un messager, qui
était chargé de combler le prince en toute chose. Puis quelqu’un vint et
s’interposa entre le prince et le messager, empêchant les provisions de
parvenir au prince. Lorsqu’il entendit cela, le roi devint furieux contre cette
personne qui empêchait délibérément ses desseins. »
L’on
peut comprendre dans le même sens la relation entre D-ieu et Sa création. D-ieu
désire prodiguer Sa bonté à l’ensemble de son monde. Cette bonté se déploie par
l’activation de l’attribut de rah’amim.
Mais les actes des méchants contrarient ce projet : ils érigent une
barrière entre D-ieu et sa création. Ainsi, plus le projet initial de
déploiement d’amour divin est grand, plus grand est « l’échec »
opposé à ce projet, et donc plus grand est l’exercice de la rigueur à
l’encontre de ceux qui l’ont fait échouer.
Tel
est bien le mécanisme en jeu dans le cas de la ville de Sodome :
« Et les gens de Sodome
étaient méchants et fautifs à l’encontre de D-ieu , à l’extrême ». (Gen. XIII, v. 13).
Le
Midrach abonde en illustrations de la perversion de Sodome, et il est
intéressant de constater que ce qui est le plus souvent en jeu dans ses lignes,
c’est l’idée de perversion de la justice, en particulier dans le domaine
économique : comme la ville était très riche, nous disent nos
maîtres, et que ses habitants voulaient
garder cette richesse exclusivement à leur profit, ils avaient érigé en loi l’interdiction de donner aux pauvres
et l’assassinat de tout étranger, afin qu’il ne risque pas de se répandre sur
la richesse de la ville après l’avoir quittée.
Cet
égoïsme paroxystique (cf. Pirkei Avot V-13 : « ce qui est à moi reste
à moi et ce qui est à toi reste à toi, telle est la devise de Sodome »)
est l’exact opposé de l’attitude d’Avraham, l’homme du ‘hessed (de la bonté gratuite), qui partage ses richesses avec
l’étranger (cf. l’épisode du début de notre Paracha où Avraham n’hésite pas à
donner le meilleur de son troupeau et à préparer un festin pour des
« hommes » qu’il crot être des nomades [Gen. XVIII, v. 1 à 8]). Par
l’effet du ‘hessed illimité d’Avraham, la dimension du ‘hessed divin peut
immédiatement se déployer sur le monde. Tout se passe comme si les actions d’Avraham avaient ouvert
largement les vannes du ciel par lesquelles le ‘hessed divin s’épanche sur
nous.
Le
symétrique est aussi vrai ; les actions de Sodome éveillent l’exercice de
la rigueur divine. Les actes de Sodome étaient tels qu’ils étaient de nature à
voiler l’exercice du ‘hessed divin, à D. ne plaise. En regard de l’écran dressé entre D-ieu et son monde par les actes de
Sodome, Avraham rétablit donc le lien entre le monde du divin et le monde
terrestre.
Reste
la question suivante : au long de l’histoire des peuples, il y eut d’autres
nations immorales ; pourquoi n’ont-elles pas subi le même sort que
Sodome ?
Le
Ramban (Na’hmanide) nous répond dans son commentaire sur Berechit (XIX,
15) :
« Les
sages de mémoire bénie, nous disent (Sanhedrin 109 b) que les gens de Sodome
possédaient de nombreux défauts, mais que leur destin fut scellé par leur refus
d’aider les pauvres (...) La punition de Sodome était en outre l’expression de
la spécificité d’Erets Israël…, car bien qu’il y ait d’autres nations pécheresses dans le monde, ce genre de châtiment
ne les atteint pas. Mais du fait de la grandeur de la Terre d’Israël, tout cela
s’est produit, car c’est le palais même de D-ieu ».
Le
Ramban introduit ici une idée nouvelle : l’influence divine qui se déploie
sur le monde vient à travers le truchement d’Erets Isra-el, comme un verset
(Deut XI, v.12) nous le laisse entendre : « Les yeux de D-ieu sont
constamment [dirigés sur Erets Isra-el] du début de l’année jusqu’à la fin de
l’année ». C’est aussi pourquoi nous dirigeons nos prières vers la Terre
d’Israël.
Tout
est certes plus intense en Erets Isra-el que dans le reste du monde : cela
veut dire que les berahkhot (bénédictions) s’y déversent avec plus d’abondance
(cf. les fruits amenés par les explorateurs). Mais à l’inverse le potentiel
pour faire le mal est aussi multiplié. C’est la raison pour laquelle nos sages
enseignent que chaque mitsva (commandement)
accomplie en Erets Isra-el est multipliée, mais que chaque avera (faute) est également multipliée.
C’est
précisément la raison pour laquelle Sodome fut détruite et pourquoi l’attribut
Divin de rah’amim a été changé en
attribut de din à leur égard. Non
seulement les habitants de Sodome ont essayé de faire obstacle à l’épanchement
du h’essed divin sur le monde par
leurs lois immorales, mais ils l’ont
fait de plus en Erets Israël, « Palais du Roi », terre régie de
manière spécifique dans l’économie céleste.
Puissions-nous,
avec l’aide d’HaCh.em, décider d’accomplir très bientôt de nombreuses Mitsvot
sur notre Terre.
Yaaqov Ebstein.